« Je pense que les peuples ont pris conscience du fait qu’ils avaient des intérêts communs et qu’il y avait des intérêts planétaires qui sont liés à l’existence de la terre, des intérêts que l’on pourrait appeler cosmologiques, dans la mesure où ils concernent le monde dans son ensemble ».
Pierre Bourdieu (1992)


vendredi 2 août 2013

Pierre Bourdieu: Contribution à la philosophie analytique

Pierre Bourdieu 
Contribution à la philosophie analytique





 (cette page sera mise à jour au fur et à mesure, revue le 04.08.2016,  Gilbert Quélennec)
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J'ai dévié tout à l'heure, quand j'essayais de dire ma contribution à la philosophie analytique. Il y a, page 42, un paragraphe qui commence ainsi: "Mais un doute radical fondé sur une critique de la raison scolastique pourrait surtout avoir pour effet de montrer que les erreurs de la philosophie, dont les ‘philosophes du langage ordinaire’, ces alliés irremplaçables, veulent nous délivrer, ont souvent pour racine commune la skholè et la disposition scolastique" Et là, je donne une série d'exemples, plus ou moins bien choisis (c'est un peu ce qui m'est venu immédiatement à l'esprit). C'est une hypothèse , dont on ne sait plus si elle est philosophique ou sociologique: est-ce qu'un certain nombre d'erreurs philosophiques que la pensée analytique a systématiquement débusquées n'ont pas pour racine commune cette situation scolastique, non analysée, qui continue à penser à travers les penseurs?
Entretien avec Pierre Bourdieu (à propos des Méditations pascaliennes), in Gérard Mauger et Louis Pinto, Lire les sciences sociales, volume 3, 1994-1996, Hermes science, 2000, p.211

texte cité par Bourdieu:
 "Mais un doute radical fondé sur une critique de la raison scolastique pourrait surtout avoir pour effet de montrer que les erreurs de la philosophie, dont les ‘philosophes du langage ordinaire’, ces alliés irremplaçables, veulent nous délivrer, ont souvent pour racine commune la skholè et la disposition scolastique. C’est le cas, il me semble pour n'évoquer que quelques-uns des exemples d'erreurs qui me viennent immédiatement en mémoire, lorsque Wittgenstein dénonce l’illusion selon laquelle comprendre un mot et en apprendre le sens est un processus mental impliquant la contemplation d’une ‘idée’ ou la visée d’un ‘contenu’, ou lorsque Moore rappelle que, quand nous voyons le bleu, la conscience du bleu nous échappe. De même, lorsque Ryle distingue entre knowing that et knowing how, la connaissance théorique et la maîtrise pratique (d'un jeu, d'une langue, etc.), ou que Wittgenstein, encore lui, rappelle qu’énoncer des jugements n’est qu’une des manières possibles d’utiliser le langage et que ‘I am in pain’ n’est pas nécessairement une assertion, mais peut être aussi une manifestation de douleur ou encore lorsque Strawson reproche aux logiciens d'avoir concentré sur des phrases 'relativement indépendantes du contexte', ou que Toulmin invite à distinguer l'usage ordinaire de l'expression de la probabilité de l'usage des énoncés probabilistes dans l'enquête scientifique: ils se réfèrent tous à des tendances de la pensée qui appartiennent au 'jeu de langage' scolastique et qui, à ce titre, risquent d'occulter la logique de la pratique, à laquelle l'exploration du langage ordinaire peut introduire.

C'est dire que l'on peut, comme j'ai toujours essayé de le faire, s'appuyer sur les analyses que la philosophie du langage ordinaire, et aussi que le pragmatisme, avec Peirce et Dewey, notamment, font de ces tendances génériques de la philosophie-dont Austin remarque qu'elles n'ont rien à voir avec des faiblesses personnelles de tel ou tel philosophe particulier-pour conférer toute sa généralité et toute sa force à la critique de la raison scolastique. Inversement, on pourrait sans doute trouver dans une analyse de la position et de la disposition scolastiques le principe d'une radicalisation et d'une systématisation de la critique de l'usage philosophique ordinaire du langage et des paralogismes qu'il favorise, et aussi de la critique du décalage entre les logiques scolastiques et la logique de la pratique dont on a tout lieu de supposer qu'elle exprime mieux dans l'usage ordinaire, non scolastique, du langage que dans l'usage socialement neutralisé et contrôlé qui a cours dans les univers scolastiques."
Pierre Bourdieu, in Méditations pascaliennes, Seuil, Liber, 1997, Points Essais, 2003, p.51-52






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voir également:
 
Publications de Pierre Bourdieu: Sur la Philosophie et la théorie (projet de Thèse, contributions théoriques dans des incises ou des notes, contribution à la philosophie analytique, sociologie, champ, à propos des philosophes, livres)





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